Pratiques et enjeux scientifiques, intellectuels et politiques de la traduction (vers 1660-vers 1840)
Paris, 3-5 décembre 2012
Colloque international
Organisé par Patrice Bret et Jean-Luc Chappey, dans le cadre du programme de l’ANR Euroscientia
avec le concours: du Centre Alexandre Koyré/UMR 8560-CNRS-EHESS-MNHN; du Laboratoire Identités, Cultures, Territoires/Université Paris VII Denis Diderot; du Centre de recherche en histoire des sciences et techniques/Cité des sciences et de l’industrie/Universcience et de l’Institut d’histoire de la Révolution française/Université Paris I Panthéon–Sorbonne
Contacts: patrice.bret@yahoo.fr; jlchappey@gmail.com
Présentation
Si la traduction doit être invisible pour le lecteur (L. Venuti), elle l’a été aussi trop souvent pour les historiens des sciences et des idées, comme si un texte n’était pas affecté par la translation d’un écrit d’une langue vers une autre et si sa réception dans un contexte culturel différent allait de soi, comme si traduire était un acte neutre porteur d’une évidence universelle. Or une traduction est le fruit d’altérations, d’adaptations et de négociations intellectuelles et matérielles, elle est porteuse d’enjeux scientifiques, intellectuels et politiques. Les travaux les plus récents (P. Casanova, G. Sapiro…) ont montré que la pratique de la traduction s’inscrit, participe et souvent renforce des logiques de pouvoir et de domination entre des sociétés, des États et des nations différents. Ce sont ces pratiques et ces enjeux qu’il s’agit d’étudier de la fin du XVIIe au milieu du XIXe siècle, au cours d’une époque marquée par le développement des échanges culturels intra-européens (M. Espagne, M. Werner, A. Thomson…), par le lent et inexorable déclin du latin au profit des langues vernaculaires (F. Waquet), par l’essor du mouvement académique et des journaux savants (J. Peiffer et J.-P. Vittu…), par l’ouverture croissante des échanges culturels bilatéraux avec le monde arabo-musulman et les grandes civilisations asiatiques (F. Hitzel, P. Crozet et A. Horiuchi, C. Jami…), par le mouvement des Lumières et des contre-Lumières, et par la Révolution française et l’irruption du mouvement des nationalités.
«Ni Dieu, ni les sciences – écrit Mersenne en 1640 – ne sont point liées aux langues, et en effet, chacune est capable d’expliquer toute chose; mais le malheur est qu’il faudrait les entendre toutes». La solution pour lui est d’organiser la traduction vers le latin, car «la maîtrise du latin apparaît en fin de compte comme un droit d’entrée tacite dans la République des Lettres» (F. Simon). Deux siècles plus tard, la situation est bien différente: dans un monde plus extraverti, l’utopie de la langue universelle – latin ou français – est supplantée par la multiplication des traductions en langues vernaculaires. Outils de la fondation de langues nationales et de la construction des savoirs d’État, souvent encadrées et soutenues par les autorités, les traductions sont des armes non seulement pour alimenter les circulations d’idées entre les diverses nations, mais aussi (et surtout?) pour affirmer des positions de pouvoir entre les diverses nations. Loin d’être une simple pratique de communication, la traduction occupe ainsi une position centrale dans les dynamiques scientifiques et politiques du XVIIe au début du XIXe siècle. Les traducteurs sont des acteurs majeurs dans la construction des rapports de force entre l’Europe et les autres continents, entre la France et l’Europe sous la Révolution, entre les diverses communautés scientifiques.
Il s’agit donc aussi de s’interroger sur la position, le statut des traducteurs et leur évolution. S’il convient de prendre en compte leur formation et les différents facteurs qui relèvent du caractère proprement intellectuel ou théorique de la pratique de la traduction, il convient également de mettre au jour les liens possibles avec le monde politique, administratif, militaire ou diplomatique. Agents ou bénéficiant du soutien des autorités, le traducteur se voit souvent confier des tâches officielles qu’il s’agit d’analyser, justifiant encore la nécessité d’étudier précisément les différentes figures possibles du traducteur.
Programme
Lundi 3 décembre
Amphithéâtre Buffon, Université Paris VII – Denis Diderot
Matin
9h00 Accueil des participants
9h30 Ouverture
Liliane Hilaire-Pérez, directrice du laboratoire Identités, Cultures, Territoires/Paris VII
Jeanne Peiffer, directrice du Centre Alexandre Koyré/UMR 8560-CNRS-EHESS-MNHN
Christine Lebeau (Paris I) et Jakob Vogel (Iep Paris), responsables de l’ANR Euroscientia
9h50 Introduction par Patrice Bret (CAK & ANR Euroscientia) & Jean-Luc Chappey (Ea 127/IHRF/Paris I & ANR Euroscientia)
Thème 1: Traductions, territorialisations et circulations des idées
Présidence: Koen Vermeir (SPHERE/Paris VII & ANR Euroscientia) et Michel Prum (ICT/Paris VII)
10h20 Catherine Jami (SPHERE/Paris VII)
Les traductions de manuels scientifiques européens en Chine sous le règne de Kangxi (1662-1722): enjeux des langues et des disciplines
10h45 Florence D’Souza (Ea 4074/Cecille/Lille III & UMR 7528 Mondes iranien et indien)
Une comparaison de deux éditions en anglais de l’Histoire des Deux Indes de l’Abbé Raynal
11h10 Peter Jones (Birmingham)
Les traductions des Voyages en France de l’agronome Arthur Young à la fin du XVIIIe siècle (en anglais)
11h35 Discussions
11h50 Pause-café
Présidence: Liliane Hilaire-Pérez (ICT/Paris VII) et Catherine Jami (SPHERE/Paris VII)
12h05 Yumiko Ohyama (Ea 127/CH2ST/Paris I)
Traduire les concepts techniques entre espaces culturels différents: la mise en œuvre de la Description de la fabrication des bouches à feu dans le Japon de la fin de l’époque d’Edo
12h30 Huiyi Wu (Paris VII/Istituto italiano di scienze umane, Florence)
Un dialogue de sourds entre deux systèmes du monde: la cosmogonie d’un romancier chinois du XVIIe siècle traduite par un missionnaire jésuite français
12h55 Discussions
13h10 Déjeuner (buffet)
Après midi
Thème 2: Traductions, transferts et mutations des savoirs
Présidence: John Humbley (CLILLAC/Paris VII) et Laurent Dedryvere (ICT/Paris VII)
14h30 Florence Catherine (Strasbourg)
Les traductions en langue française des œuvres d’Albrecht von Haller: mise en place et fonctionnement d’un dispositif de communication entre les aires culturelles française et germaniques
14h55 Michèle Virol (Rouen & UMR 8596-Centre Roland Mousnier)
Traduire et éditer les écrits d’ingénieurs à la période moderne
15h20 Feza Günergun (Département d’histoire des sciences, Istanbul)
Une traduction partielle de La Méthode pour apprendre facilement la géographie de Jacques Robbe, par Petros Baronian à Istanbul (1733)
15h45 Discussions
16h10 Pause-café
Présidence: Fabien Simon (ICT/Paris VII) et Marie-Noëlle Bourguet (ICT/Paris VII)
16h30 Patrizia Delpiano (Dipartimento di culture, politica, società, Turin)
Éduquer à la lecture antiphilosophique au XVIIIIe siècle. Le Traité de la lecture chrétienne de Nicolas Jamin entre France, Italie et Espagne
16h55 Yasmine Marcil (CIM Ea 1484/Paris III)
Entre France et Italie, le mémoire en faveur de l’inoculation de La Condamine
17h20 Discussions
17h45 Fin de la première journée
Mardi 4 décembre
Cité des sciences et de l’industrie, Salle Painlevé
Matin
9h30 Accueil-café
10h00 Ouverture par Françoise Bretonneau, directrice de la Bibliothèque des sciences et de l’industrie/Cité des sciences et de l’industrie/Universcience
Thème 3: Traductions et mutations du marché de l’imprimé
Présidence: Frédéric Hitzel (CETOBAC/EHESS) et Bruno Belhoste (Ea 127/CH2ST/Paris I)
10h15 Sabine Juratic (IHMC/CNRS)
La traduction scientifique dans l’édition française au XVIIIe siècle
10h40 Irina Gouzévitch (Centre Maurice Halbwachs/EHESS)
La traduction scientifique et technique et la naissance du livre laïc en Russie sous Pierre Ier
11h05 Mustafa Kaçar (Département d’histoire, Istanbul)
Un ouvrage français inédit traduit et publié en turc au XVIIIe siècle: le Traité de castramétation de Lafitte-Clavé, le «Héros du Sultan»
11h30 Discussions
12h00 Déjeuner (restaurant sur place)
Après midi
Thème 3: Traductions et mutations du marché de l’imprimé (suite)
Présidence: Jeanne Peiffer (Centre Alexandre Koyré/CNRS) et Patrizia Delpiano (Dipartimento di cultura, politica, società, Turin)
14h00 Ingemar Oscarsson (Lund, Suède)
La traduction du suédois dans le Journal de sçavans (communication en anglais)
14h25 Maria Conforti (La Sapienza, Rome)
Traduction de dictionnaires et création d’une langue médicale en Italie, 1820-1850
14h50 Ellen Moerman (ANR Histoire des traductions en langue française)
Concurrence et coopération internationale: l’Histoire générale des voyages
15h15 Discussions
15h45 Pause-café
Présidence: Jean-Luc Chappey (Ea 127/IHRF/Paris I) et Maria Conforti (La Sapienza, Rome)
16h15 Marie-Christine Skuncke (Litteraturvetenskapliga institutionen, Uppsala)
Le médecin botaniste suédois Carl Peter Thunberg sur le marché européen
16h40 Lorelai Kury (Fiocruz & UERJ, Rio de Janeiro)
Les Presses Royales de Rio de Janeiro et les traductions en histoire naturelle et médecine (1808-1820)
17h05 Discussions
17h30 Clôture de la 2ème journée, par Jeanne Peiffer (Centre Alexandre Koyré/CNRS)
17h45 Fin de la deuxième journée
Mercredi 5 décembre
Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Salle 1
Matin
9h00 Accueil des participants
9h15 Ouverture par Pierre Serna, directeur de l’IHRF, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
Thème 4: Figures, positions et statuts du traducteur
Présidence: Peter Jones (Birmingham) et Lorelai Kury (Fiocruz et UERJ, Rio de Janeiro)
9h30 Bernard Gainot (Ea 127/IHRF/Paris I)
Helen Maria Williams, médiatrice culturelle dans la Décade philosophique
9h55 Marianna Saad (Queen Mary University, Londres)
La traduction du Journal de médecine de Simmons par Mazuyer
10h20 Isabelle Laboulais (ARCHE/Ea 3400/Strasbourg & ANR Euroscientia)
Traducteur puis ingénieur: le parcours singulier de Jean-François d’Aubuisson de Voisins (1769-1841) au sein du corps des Mines
10h45 Discussions
11h10 Pause-café
Présidence: Antonino de Francesco (Milan) et Feza Günergun (Département d’histoire des sciences, Istanbul)
11h25 Charlotta Wolff (Histoire européenne, Helsinki)
Le comte Carl Fredrik Scheffer, traducteur des physiocrates et promoteur de la monarchie renforcée en Suède
11h50 Corinna Guerra (Istituto italiano per gli studi storici, Naples)
Les artilleurs-traducteurs et leurs ennemis (en anglais)
12h15 Discussions
12h30 Déjeuner (buffet sur place)
Après midi
Thème5: Traductions, patriotismes et nationalismes
Présidence: Pierre Serna (IHRF/Paris I) et Allan Potofsky (LARCA/Paris VII)
14h00 Antonino de Francesco (Milan)
Traduire le Federalist en France à la veille de la République: un projet politique sans paysage mental linguistique
14h25 Lorenzo Cuccoli (Cultore della materia, Storia delle istituzioni politiche, Bologne)
Les traductions de textes techniques destinées aux officiers des armes savantes (Italie-France/France-Italie, 1750-1815)
14h50 Ferenc Toth (Institut de recherches en sciences humaines/Académie des sciences, Budapest)
Tradition et traduction. L’évolution de la science militaire hongroise de la fin du XVIIe au début du XIXe siècle
15h15 Discussions
15h35 Pause-café
Présidence: Bernard Gainot (Ea 127/IHRF) et Pascal Crozet (SPHERE/CNRS)
16h00 Foteini Assimacopoulou (Athènes), Konstantinoss Chatzis (LATTS/IFSTTAR) et Georgia Mavrogonatou (Open University, Grèce)
L’officier grec comme traducteur: grec ancien, sciences modernes et constitution de l’État grec (1830-1860)
16h25 Jean-Luc Chappey et Virginie Martin (Ea 127/IHRF/Paris I)
Les traducteurs, rouages de la Grande Nation?
16h50 Discussions
17h15 Conclusions générales
par Christine Lebeau, Ea 127/CRHM/Paris I, responsable de l’ANR Euroscientia.